Des femmes ''Générales'' au Mali : un acte historique

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Marie Claire Diallo : la femme la plus gradée de la police ! Le 24 septembre dernier, le conseil des ministres a procédé à une vaste nomination d’officiers supérieurs au sein des forces armées et de sécurité au grade de général.  Parmi eux, figurent deux femmes. Un acte historique dont le mérite revient au président de la République, Amadou Toumani Touré, l’homme des inédits. Car,  c’est la première fois dans l’histoire de notre pays que des femmes accèdent à un tel grade. Marie Claire Diallo et Kani Diabaté, puisque ce sont d’elles qu’il s’agit, ont en commun une éthique professionnelle basée sur le respect de l’autre et une révolte contre l’injustice. La rigueur, la persévérance, la conscience professionnelle constituent les traits dominants de leur caractère. L’une comme l’autre font la  fierté de notre pays. 

Celle qui fut engagée ”manu militari” dans la police est  fière aujourd’hui d’être la femme la plus  gradée de ce corps qu’elle sert depuis 34 ans.

Avec son teint légèrement brûlé, sa taille moyenne et longiligne, la femme la plus gradée de la police malienne, Marie Claire Diallo, occupe tranquillement une pièce au 1er étage de l’immeuble abritant le ministère de la Sécurité et de la protection civile. Sur son bureau, un ordinateur et des dossiers sont soigneusement rangés. Avec un ton empreint de courtoisie (elle parle très calmement et doucement), Marie Claire trouve les mots justes pour mettre à l’aise ses visiteurs. Comme c’est étrange : il devait être écrit, quelque part dans le ciel que cette dame allait être une policière. Sinon, et ça saute aux yeux, rien ne la prédestinait à cette fonction. Mais à l’écouter, entre la police et elle ”c’est toute une histoire”.

Avec son bac en ”Sciences biologies” obtenu au Lycée Notre Dame du Niger, elle rêvait plutôt d’être médecin. Mais, comme un coup du hasard, elle est orientée à l’Ecole nationale d’administration (Ena).

Pour ne pas perdre une année après des tentatives vaines de transfert à l’Ecole de médecine, la jeune bachelière se voit obligée d’étudier les ”Sciences économiques” qu’elle termine en 1976 avec une maîtrise.

Après son stage au ministère du Plan dirigé à l’époque par Amadou Baba Diarra, elle sollicite un emploi à la Banque centrale. Entre-temps, elle était partie voir le directeur de la Sûreté nationale, Feu Tiécoro Bagayoko, pour se renseigner sur la police économique qui venait d’être créée. Au cours de cet entretien, le tout puissant directeur de la sûreté voyait déjà en elle une policière en puissance. Sauf que la jeune Marie rêvait d’être dans une institution financière, plus précisément la Banque centrale. Où elle avait d’ailleurs fini par trouver un job.

Curieusement, après une journée de travail, son patron lui exige un certificat de…” non engagement dans la police”. Comme si elle y travaillait ! Elle comprend tout de suite : Tiécoro Bagayoko a déjà pris les devants. Ne lui a- t-il pas déjà fait comprendre qu’elle n’irait nulle part qu’à la police ?

Pourquoi partir après tant d’années de formation, de fatigue ?

Non seulement elle n’aura pas le document demandé par la direction de la Bceao, mais elle sera incorporée ”manu militari” dans la police. Seule femme de la promotion, elle suit la formation de base à Kati, celle des parachutistes, avant la formation professionnelle proprement à l’Ecole de police.

Entre temps, Tiécoro Bagayoko est arrêté et le sort de la police économique scellé. Comme ses camarades de promotion, Marie doit choisir. Avec un autre, Baba Diarra, l’actuel chef de cabinet du ministère de l’Administration territoriale, elle opte de rester : ”Je me suis dit qu’après tant d’années de formation, de fatigue, pourquoi partir ?”.

A la fin de la formation, elle est affectée au service financier de la police nationale, où elle est nommée adjoint au comptable de la direction de la sûreté nationale ; elle est ensuite désignée adjoint au sous-directeur administratif et financier avant d’aller suivre la formation des officiers à Koulikoro. 

A son retour de la Cité du Méguetan, la voilà commandant du Centre Administratif du Groupement mobile de sécurité (Gms).

En 1987, l’ancienne élève du lycée Notre dame du Niger accède au grade de capitaine. A la Direction des Renseignements Généraux où elle atterrit, elle occupe le poste de sous-directeur des affaires financières et économiques. Elle se retrouve en 1989 au Service de l’intendance militaire. Animée par le souci de perfectionnement, elle s’envole pour  Montpellier pour suivre un stage de formation des commissaires de l’armée de terre.  A son retour, elle hérite de la sous-direction du budget et finance de l’intendance militaire.

Promue commandant en 1992, elle prend la tête de la direction administrative et financière du ministère de la Sécurité. Mais la fusion de ce département avec celui de l’Administration territoriale fait qu’elle est mise à la disposition du ministère de la Défense où elle est nommée, en 1994, chef de division matériel de la direction administrative et financière. La même année, elle devient contrôleur général de police.

De 1995 à 2000, elle est directrice des services de l’administration et des comptabilités de la police. En 1997, elle est Chevalier de l’Ordre national du Mali. Sa hiérarchie lui confie en 2000 la responsabilité du bureau des relations publiques de la Direction générale de la police nationale.

L’année suivante, elle est nommée Directrice générale des services de la police des frontières. De 2002 à 2008, elle est inspectrice à l’inspection des services de sécurité et de la protection civile. En février 2008, elle est chargée de mission au cabinet du ministère de la Sécurité et de la protection civile. Elle s’occupe essentiellement des questions économiques et financières.

 Une marque de confiance  des plus hautes autorités !

Officier de l’ordre national en 2009, elle est depuis le 24 septembre dernier inspecteur général de police. Avec modestie, Marie – Claire est fière d’être aujourd’hui la femme la plus haut gradée de la police nationale. ”C’est une marque de confiance des plus hautes autorités pour ma personne que je dois relever. La tâche ne fait que commencer pour moi. C’est une autre forme de responsabilité.”, a-t-elle affirmé.

Au passage, elle se veut reconnaissante envers les plus hautes autorités mais aussi tous ceux qui ont eu à collaborer avec elle. Si elle a toujours été utilisée dans la gestion financière, il n’a pas été facile pour Marie-Claire de s’imposer. ”Avec l’assiduité, tu arrives à t’imposer. Il faut comprendre les hommes que tu gères et leur faire comprendre ta vision des choses.”, explique-t-elle.  

Interface entre le département de la Sécurité intérieure et les autres structures pour les questions de genre, elle estime que des efforts ont été faits pour que la porte des forces armées et de sécurité s’ouvre aux femmes. La police, dit-elle, est pionnière dans ce sens. ”Ce que l’homme peut faire, la femme peut le faire. Il y a des femmes qui sont plus braves que les hommes”, est-elle persuadée. L’inspecteur général de police est d’avis qu’il faut mettre un accent particulier sur l’alphabétisation des femmes surtout en milieu rural.

En confiant des postes de responsabilité aux femmes, à en croire Marie Claire Diallo, le gouvernement veut casser la barrière socio-culturelle. Elle se veut  optimiste pour le changement de mentalité. Malgré la charge qui pèse sur elle, Marie Claire est heureuse d’avoir une famille qui la comprend, et arrive à concilier sa vie professionnelle et familiale. ”J’aime bien mon travail. J’aime bien gérer parce que c’est mon  profit. C’est le travail qui m’absorbe. Je ne sens pas le temps passer”.

Au service de la nation depuis 34 ans, la capacité de l’inspecteur général de police, Marie Claire Diallo à s’adapter à toutes les circonstances est sans doute un exemple pour la nouvelle génération. 

Générale de brigade Kani Diabaté! 

Véritable ”Soldat de développement”, la première Malienne à être promue générale de brigade, Kani Diabaté, jouit d’une notoriété qui dépasse largement les frontières de notre pays. Portrait.

« Avant toute chose, je remercie Dieu, le Chef suprême des armées, mes chefs militaires et civils, ma famille, ainsi que tous ceux qui ont travaillé avec moi depuis le début de ma carrière”. L’auteur de ces propos, la première malienne à être promue au grade de général de brigade, est née le 1er août 1952 à Kayes. Mme Coulibaly Kani Diabaté fait partie avec Fanta Konipo (inscrite au tableau d’avancement pour le même grade) de la première promotion des femmes militaires. Pas un seul instant, cette dame de teint clair et de taille légèrement au-dessous de la moyenne n’avait jamais pensé porter l’uniforme. Pourtant, c’est pour l’armée qu’elle opte sur conseil du mari de l’une de ses amies. L’évolution de sa carrière est la preuve qu’elle a fait le bon choix : de son intégration en 1974 à nos jours, elle a gravi tous les échelons, du lieutenant au… général de brigade.

Après son bac obtenu au lycée des jeunes filles de Bamako en ”Sciences biologie” elle est admise au concours d’entrée en médecine militaire en 1973. Parallèlement à ses cours à l’Ecole nationale de médecine et de pharmacie, elle suit pendant les vacances la formation militaire au camp. De 1978 à1980, elle a été médecin-chef adjoint à la garnison de Bamako, l’actuel bataillon Para. C’est là où elle a travaillé avec un certain Amadou Toumani Touré. Entre 1980 et 1983, elle suit une spécialisation en stomatologie à l’Université Pierre et Marie – Curie à Paris VI. A son retour, elle est, deux ans durant, chef de clinique au Centre dentaire infantile de Bamako avant d’être chef de clinique au Centre national d’odonto – stomatologie de Bamako.

 En 1985, Kani entame une année spéciale à l’Ecole militaire inter – armes de Koulikoro : elle en sort major de la promotion : ” À l’époque, je n’avais pas peur. C’est un défi personnel pour moi de faire ce que j’ai à faire en tant que soldat.”, affirme aujourd’hui général de brigade Kani Diabaté. De 1989 à 1993, elle est au Département de chirurgie Maxillo – faciale de l’hôpital militaire d’Ain Naja et Mustapha d’Alger. En juin 1993, elle obtient son diplôme de chirurgie maxillo -dentaire.

De 1995 à 1998, elle est déléguée ministérielle du Commissariat à la promotion des femmes auprès du ministère des Forces armées et des anciens combattants avant d’assumer les fonctions de chargée de mission au même département. C’est en 2000 qu’elle est nommée Haut fonctionnaire de défense auprès du ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille. Elle a sensibilisé le personnel féminin de l’armée et les femmes des camps sur les questions relatives au Vih/Sida et à la santé de la reproduction.

Experte, consultante en genre dans le  maintien de la Paix !

 De 2001 à 2003, elle pilote le projet intitulé ” Sensibilisation de forces armées et de sécurité à la thématique du Genre dans les opérations de maintien de la Paix”. A ce titre, elle sillonne plusieurs pays de la sous- région dans le cadre des missions de sensibilisation sur la prise en compte du genre dans les opérations de maintien de la paix. De même, à travers l’Afrique, elle a animé en qualité de formatrice plusieurs séminaires sur la prise en compte du ”Genre dans les conflits” et ”Droit et protection des enfants impliqués dans les conflits armés”. C’est le général Kani Diabaté qui a conduit la délégation militaire féminine lors des voyages d’études au Maroc, en Tunisie, Algérie etc. Dans le cadre de l’étude sur ”Genre et Opérations de maintien de la paix’’, elle s’est rendue au Libéria et en Sierra Leone.   

Sa notoriété dépasse les frontières du Mali. ”C’est la reconnaissance de nos compétences nationales par mes chefs qui m’ont valu une reconnaissance internationale”  a affirmé cette instructrice temporaire à l’Ecole de maintien de la paix ”Alioune Blondin Bèye. Son expertise est très sollicitée pour la réalisation d’études ou d’animation d’ateliers. Elle est aussi très impliquée dans les questions relatives à la gestion de la prolifération des armes légères et des petits calibres. Actuellement, elle est consultante chargée par la Commission de l’Union Africaine à travers la direction Femmes, Genre et développement de l’élaboration du projet de manuel de formation sur la ”prise en compte du genre dans les opérations de maintien de la paix”.

En 2004, elle a réalisé en collaboration avec Mme Aïché Diarra et Mme Traoré Adiza, consultantes internationales expertes en genre, une étude sur la ” prise en compte du genre dans les opérations de maintien de la paix dans l’espace Cedeao”. Le genre qui est très important dans les opérations de maintien de la paix, selon elle, englobe en plus de la femme, l’homme, la petite fille et les minorités. Contrairement à certaines opinions, la ”générale” estime que le genre est une partie intégrante de notre culture. ”On a une culture très riche qu’il faut valoriser et harmoniser avec des concepts nouveaux”, dit-elle.

”J’ai apporté ma petite contribution  et mon exemple a servi !”

Pour une plus grande ouverture des forces armées aux femmes, Kani Diabaté aurait été d’un apport inestimable. ”Ce n’était pas facile”, explique-t-elle. Lors de l’élaboration de la politique d’intégration du personnel, elle s’est battue pour un meilleur épanouissement de ses sœurs soldats. C’est elle qui a défendu devant le ministre de la Défense le dossier de l’entrée des jeunes filles au Prytanée militaire de Kati. Sur ce chapitre, l’une des personnes qui l’ont aidée est l’actuel Secrétaire général du ministre de la Défense, Général Youssouf Bamba. Son expertise a été aussi précieuse dans l’intégration des femmes au niveau des corps de la Gendarmerie et de la Garde nationale : ”J’ai apporté ma petite contribution. Je l’ai fait pour les femmes. C’était une conviction.  Mon exemple a servi parce qu’il y a des centaines de femmes au sein de l’armée maintenant. ” Très satisfaite, elle est  heureuse de voir que le Prytanée militaire fait la fierté du Mali. Promue générale de brigade, celle qui partage la vision d’ATT, qui a toujours mis l’accent sur la conception humaniste de l’armée, se veut modeste. ”C’est un sentiment de fierté et d’honneur qui m’anime. Cet honneur, je le dédie à toutes les femmes du Mali, notamment le personnel féminin de l’armée. Aussi c’est un honneur que j’accepte avec humilité en pensant à tous ceux qui m’ont aidée.” Kani Diabaté n’oublie jamais sa mère, Coumba Bomboté, qui l’a moralement soutenue. ”Je suis fière de voir qu’elle est fière de moi”. Mère elle-même de 4 enfants, la générale de brigade est une épouse comblée qui mesure le sens de sa responsabilité au sein de la famille. ”Mon mari m’a beaucoup aidée. C’est le lieu de lui rendre hommage.” Récipiendaire des Médailles commémoratives de campagne et d’argent avec effigie abeille, elle est persuadée qu’avec le travail, on peut tout avoir.

 Selon elle, les  générations actuelles de femmes doivent jouer leur rôle dans le développement  sécuritaire de l’Afrique, plus particulièrement du Mali en cultivant un esprit de paix et de dialogue, de la famille jusqu’au niveau de prise des grandes décisions. Général Kani est polyglotte : elle parle couramment Bambara, Khassonké, Français et Anglais.    

C. Doumbia

 

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