De Kati à Selingué : La chute d’un putschiste

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Du camp de Kati, où il régnait en maître absolu sur le Mali, à la prison de Sélingué où il est incarcéré, le capitaine Amadou Haya Sanogo, ex-chef de la junte, aura connu une chute vertigineuse, sinon une descente aux enfers.

21 mars 2012 – Cela fait une semaine que la colère gronde au camp militaire de Kati, près de Bamako. Emmenés par le capitaine Amadou Haya Sanogo, plusieurs officiers exigent d’être reçus par le chef de l’État, Amadou Toumani Touré (ATT), et réclament plus de moyens pour lutter contre la rébellion touarègue qui fait rage dans le Nord. Ce mercredi 21 mars 2012, peu après midi, une colonne de soldats se dirige vers la capitale. Ils prennent d’abord le siège de l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM) avant d’investir le palais présidentiel de Koulouba, déserté dans la soirée par ATT.

 

22 mars 2012 – Jeudi matin, les Maliens découvrent à la télévision le visage des nouveaux maîtres du pays. Parmi eux, le capitaine Amadou Haya Sanogo, 39 ans, chef des mutins regroupés au sein d’un “Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État” (CNRDRE). Alors qu’une ambiance de guerre civile règne à Bamako, Sanogo annonce que “toutes les institutions” ont été suspendues, ainsi que la Constitution, et qu’un couvre-feu a été décrété. Selon lui, la junte prend “l’engagement solennel de restaurer le pouvoir” aux civils et de mettre en place un gouvernement d’union nationale.

28 mars 2012 – Le CNDRE publie son ordonnance numéro 0001 présenté comme l'”Acte fondamental” de l’État du Mali. Cette nouvelle Constitution consacre le comité comme “organe suprême de la transition” et érige son président, le capitaine Amadou Haya Sanogo, au rang de “chef de l’État”.

 

1er avril 2012 – Dix jours après le putsch contre ATT, le capitaine Sanogo convoque la presse à son quartier général de Kati. À ses côtés se tient le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibril Bassolé, émissaire du président Blaise Compaoré et médiateur de la Cedeao dans la crise malienne. Devant les journalistes, le chef du CNDRE promet de rétablir la Constitution et les institutions de 1992 ainsi que de remettre le pouvoir aux civils. Il évoque alors des “consultations avec toutes les forces vives du pays (…) pour permettre la mise en place d’organes de transition” et l’organisation d’élections auxquelles la junte ne participera pas”. Le tout en se gardant bien de fixer un calendrier.

 

2 avril 2012 – Amadou Haya Sanogo perd son statut – autoproclamé – de chef de l’État. En vertu d’un accord de sortie de crise signé le 6 avril avec la médiation ouest-africaine, le capitaine laisse le pouvoir aux civils. Dioncounda Traoré est nommé président de la République par intérim et Cheick Modibo Diarra prend la tête du gouvernement de transition. Mais malgré les apparences, le capitaine Sanogo ne semble pas décidé à lâcher le pouvoir…

 

30 avril – 2 mai 2012 – Les Bérets rouges, des militaires restés fidèles au président ATT, tentent un contre-coup d’État et attaquent les Bérets verts putschistes. Les affrontements sont sanglants. Durant trois jours, les hommes de Sanogo arrêtent, détiennent et torturent de nombreux militaires pro-ATT. Selon des enquêtes menées par plusieurs organisations de défense des droits humains, le 2 mai, au moins 21 militaires, majoritairement des bérets rouges détenus au camp de Kati, sont emmenés dans des camions militaires. Leur trace n’a jamais été retrouvée.

 

21 mai 2012 – La transition est chaotique. Contrairement à ce qui était prévu, les élections n’ont pas lieu au mois de mai. Le 21, des centaines de manifestants, opposés au maintien au pouvoir de Dioncounda Traoré, marchent sur Koulouba. Le président par intérim est lynché par des dizaines d’individus en furie. Après avoir frôlé la mort, il est transféré à Paris, où il restera plusieurs mois en convalescence.

 

1 décembre 2012 – Dans la nuit du 10 décembre, le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, est arrêté à son domicile par les militaires. Quelques heures plus tard, au petit matin, il est contraint à la démission par le capitaine Sanogo. Le soir même, à la télévision, l’ex-putschiste multiplie les banderilles contre son ennemi, cet homme qui n’avait “aucun égard pour le peuple”, “ne reconnaissait pas l’autorité du chef de l’État” et qui “[étranglait] le pays par des ambitions personnelles démesurées”.

 

13 février 2013 – La guerre contre les groupes jihadistes armés, menée par la France et plusieurs forces africaines, est en cours depuis un mois dans le nord du pays. À Bamako, le capitaine Sanogo reste au cœur du jeu politique. Le 13 février, lors d’une cérémonie en grande pompe à Koulouba, il est officiellement investi à la tête du “Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité”, un poste qu’il occupait officieusement depuis six mois.

 

26 juin 2013 – À l’occasion d’une cérémonie solennelle de réconciliation entre Bérets verts (pro-Sanogo) et Bérets rouges (pro-ATT) au palais présidentiel, à Bamako, l’auteur du coup d’État de mars 2012 demande “pardon au peuple malien”.

 

14 août 2013 – Le capitaine putschiste prend du galon et est promu général quatre étoiles en Conseil des ministres. Sa promotion intervient trois jours après le second tour de l’élection présidentielle, remportée par Ibrahim Boubacar Keïta. S’il avait promis de se tenir en retrait, l’ombre du désormais “général Sanogo” a pourtant plané sur la campagne électorale.

18 novembre 2013 – Au début du mois de novembre 2013, le juge d’instruction Yaya Karembé s’est vu confier une information judiciaire ouverte contre vingt militaires pour leur responsabilité présumée dans l’arrestation et la disparition, le 2 mai 2012, d’une vingtaine de Bérets rouges. Parmi eux figure le général Sanogo. Le 18 novembre, ce dernier est convoqué par le juge Karembé, mais refuse de se présenter devant le magistrat.

 

27 novembre 2013 – Plusieurs dizaines de militaires maliens se rendent au domicile de Sanogo, dans le centre de Bamako, pour procéder à son arrestation et le conduire devant le juge Karembé. Selon une source au ministère de la Justice, citée par l’AFP, l’ordre de l’arrêter “a été donné au plus haut niveau de l’État”. Après avoir été présenté au magistrat, le général est inculpé de “complicité d’enlèvement de personnes” et placé sous mandat de dépôt. Après avoir rêvé d’un destin de sauveur national, l’ex-putschiste prépare désormais sa défense en prison.

 

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