On peut dire que le président de la République du Mali et général cinq étoiles (c’est toujours sur ses casquettes) Amadou Toumani Touré a confirmé sa réputation d’enchanteur en réussissant à calmer une sourde colère des officiers de l’armée pour une histoire d’avancement. Toujours la même précaution : pas de bruit…
Les observateurs et experts de la chose militaire sont unanimes : il y a trop d’officiers au Mali, beaucoup trop d’ailleurs et cette inflation aboutira tôt ou tard à un clash si le recrutement annuel n’est pas contingenté voire revu drastiquement à la baisse.
On entre dans l’armée pour avancer, obtenir des « galons» et s’y assurer un plan de carrière. Le prestige de l’uniforme est encore intact en Afrique. L’opinion publique ne se pose pas encore de questions profondes sur l’utilité des armées pléthoriques et budgétivores. Plus on a les épaules chargées, meilleur on paraît. La question des grades est très sérieuse et mérite un traitement urgent, les colonels l’ont fait sentir et ATT a compris qu’autant d’officiers pour très peu de fonctions ne peut continuer et il y a des limites à créer des postes de «hauts fonctionnaires de défense » dans les ministères. Il faut trouver une solution avant que la revendication ne devienne mutinerie.
Pendant plus d’un an, le ministère de la Défense dirigé par Natié Pléa, le Secrétariat général du Gouvernement, celui de la Présidence de la République, en plus de certains ministères dits techniques et l’état-major particulier du chef de l’Etat, planchaient sur un projet de décret à soumettre au Conseil des ministres. Après plusieurs réunions dites préparatoires et des « consultations », le constat a été le suivant: il y a trop de colonels bloqués à ce grade dont certains depuis plus d’une décennie.
Les officiers supérieurs qui accèdent aux étoiles de général de brigade sont rares et se comptent surtout parmi les camarades de promotion d’ATT ou ceux à qui il est lié de manière très proche (cela n’est pas dans le constat, mais reflète la pensée de certains officiers.) Comment faire pour « décongestionner » le rang des colonels et offrir un bonbon à ceux qui sont déjà très proches de la pension ? Le comité technique a donc proposé la création du grade de « colonel major » avec incidence financière. Cela permettra, au moins aux « vieux » colonels, de partir à la retraite le baume au cœur, sachant qu’ils ne seront jamais des généraux. Comme le disait l’empereur Napoléon Bonaparte à un colonel flemmard de sa cavalerie, « général, ça se mérite, par un haut fait d’arme ! » Ils ne croient pas avoir démérité, ils n’ont pas eu la chance au bon moment.
Selon un autre officier, en fonction cette fois à la Défense nationale et impliqué dans les négociations, la présidence (il soupçonne l’état-major particulier) a « refait » le dossier avec des changements majeurs. D’accord pour la création du grade de colonel major, en contrepartie, pour ne pas grever le budget national avec des salaires et avantages faramineux, une nouvelle règle s’impose. Et cette règle devait être draconienne : désormais, tous les officiers, du lieutenant au lieutenant-colonel en passant par le capitaine et le chef de bataillon seront obligés d’avoir au minimum cinq (05) ans d’ancienneté dans leur grade avant que leur supérieur hiérarchique ne puisse les proposer au tableau d’avancement. Et rien ne garantit que cette proposition aboutira à une nouvelle barrette sur leurs épaules. On peut rester sur ce fameux tableau pendant deux ou trois autres années. Il n’en fallait pas plus pour sonner la mobilisation et provoquer de sourds grognements. Pour quelle raison, estimaient les officiers subalternes, doivent-ils faire les frais d’une politique de promotion mal planifiée et mal exécutée ? Pour quelles raisons des officiers qui n’ont souvent pas plus d’un an de service à compléter sont promus au grade de général alors que rien ne le justifie ? Cet avancement, pour un militaire, est le nirvana tant les avantages et autres gâteries sont nombreux.
Un lieutenant-colonel qui revient d’un long séjour dans le Septentrion nous a confié sous couvert de l’anonymat : « Il faut une reforme du système d’avancement dans nos forces armées pour mettre fin à l’arbitraire en la matière. Je ne comprends pas que des officiers de valeurs qui suent nuit et jour sur les théâtres d’opération soient lésés alors que d’autres assis dans des bureaux climatisés avancent. Dans des pays voisins comme le Sénégal, seuls les cas d’indiscipline ou de fautes bloquent les officiers, sinon c’est automatique. C’est reconnu dans toutes les armées modernes que seul le grade de général est à la discrétion totale du président de la République. Le reste relève simplement de l’état-major. Avec tous les problèmes que nous avons, notamment au niveau de l’équipement et des conditions sociales, cette question ne doit plus être un obstacle. »
Depuis la création de l’armée malienne, la seule période « stable » fut de 1960 à 1968, explique le lieutenant-colonel : « Il était très difficile d’avancer même si les officiers étaient très peu nombreux, certains ont passé les 8 ans de Modibo au même grade. Il fallait mériter ses galons. » Il nous rappelle que de retour à Bamako après avoir «pacifier » le Septentrion, Mamadou Sissoko et Diby Sillas Diarra méritaient des étoiles, «au moins général de brigade », ils ont quasiment été ignorés et à leur mort ou assassinat, ils «n’étaient que capitaines ». Selon lui, le régime des privilèges a commencé après le coup d’Etat du 19 novembre, à commencer par Moussa Traoré lui-même, lieutenant, qui s’est bombardé colonel, en « sautant» les grades de capitaine, chef de bataillon, et lieutenant-colonel. Il a bombardé ses comparses lieutenants en lieutenant colonel. Puis, dit notre interlocuteur «rappelez-vous l’ascension fulgurante de Sékou Ly, passé de lieutenant à général en moins de dix ans et Oumar Diallo dit Birus qui était colonel alors que certains de ses camarades de promotion étaient chefs de bataillon. C’est vrai que Birus était major de promotion, mais feu Cheick Diarra aussi l’était. » Notre interlocuteur propose de revenir à l’orthodoxie « on avance parce qu’on le mérite, c’est la seule façon de garder une armée soudée, motivée et opérationnelle… »
Dès que la nouvelle de la reforme en cours a été ébruitée, les jeunes officiers et les « anciens » qui se sentent bloqués arbitrairement ont senti la poudre monter au nez et les obus siffler. Ils ont commencé à manifester insidieusement leur désapprobation, surtout auprès de leurs chefs. Visiblement, le son du clairon est monté jusqu’au palais de Koulouba puisque le président, face au danger d’une armée divisée entre « privilégiés» et « laissés pour compte », a choisi de rendre un jugement à la Salomon. Il a donc accepté la création du grade de colonel major, ce qui permettra l’avancement d’une bonne… centaine de colonels. La règle des cinq ans d’ancienneté avant toute proposition d’avancement a été purement et simplement jetée à la poubelle.
Cependant, dans la discrétion totale, comme un commando en repérage, Amadou Toumani Touré a pris une décision qui fera le bonheur de ses amis, notamment les généraux installés au Gouvernement et ceux qui admirent déjà leurs fines étoiles : leur point indiciaire qui était bloqué à mille (1000) a été relevé à 1200. Et devinez qui sont les fonctionnaires maliens qui touchent des salaires aussi élevés ? Les professeurs titulaires d’université ! Dans la logique de Koulouba donc, un général de l’armée malienne vaut un professeur titulaire d’université. La grogne a visiblement pris fin. Tout le monde est content.
Si c’est à ce prix que l’on peut étouffer une tempête sous les képis, tant mieux pour le Mali et tant pis pour le Trésor public.