Deux aspects de l’activité politico-militaire des troupes coloniales méritent d’être mentionnés : la politique des races et les pratiques sexuelles.
Les premières théorisations «scientifiques » sur les populations africaines furent souvent liées aux explorations et aux conquêtes militaires. Les officiers coloniaux ne sont donc pas étrangers au développement de « sciences » pour lesquelles les « races », leur degré d’évolution et leurs caractéristiques supposées constituaient le seul facteur explicatif des sociétés africaines. La domination militaire s’est appuyée sur le vieux principe « diviser pour mieux régner ». Selon la célèbre maxime de Lyautey : « L’action politique est de beaucoup la plus importante (…) s’il y a des coutumes et des mœurs à respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut démêler et utiliser à notre profit ». Dans le cadre d’alliances temporaires et souvent interchangeables, on va ainsi opposer certaines populations à d’autres. Mais on ne se contente pas d’utiliser des divisions traditionnelles : celles-ci sont réinterprétées d’un point de vue biologique, voire inventées de toutes pièces ; et les spécificités que l’on prête à chaque « race » sont utilisées pour légitimer une organisation sociale et politique. Ainsi, selon le schéma de Gobineau, certaines ethnies sont jugées supérieures aux autres car prétendument d’origine extérieure au continent africain et lointainement issues de la « race » blanche. On va donc les privilégier et les utiliser comme auxiliaires du pouvoir colonial, ou au contraire les considérer comme plus dangereuses et les réprimer. « Toute action politique dans la colonie doit consister à discerner et mettre à profit les éléments locaux utilisables, à neutraliser et détruire les éléments locaux non utilisables », explique Gallieni. Par exemple à Madagascar, les Hovas dont est issue la reine qui est destituée par Gallieni, sont considérés comme une « race » issue d’Asie, supérieure aux autres populations noires de l’île. Les classifications coloniales sont enseignées et, au fil du temps, intériorisées par les élites colonisées, créant des fractures et suscitant des ressentiments dont les effets dévastateurs se font encore sentir. Les « haines ethniques traditionnelles », souvent mises en avant en guise d’explication des conflits contemporains en Afrique, ne sont pas si traditionnelles qu’on le prétend.
Enfin, au chapitre des pratiques militaires coloniales en Afrique, il faut mentionner les questions relatives à la sexualité. Outre la question des viols, arme de guerre et de terreur pendant la conquête, autant qu’un moyen de récompenser les soldats, la prostitution a également été favorisée par la colonisation : d’une part en raison de la multiplication des déclassés, des femmes privées de leur mari tué ou réquisitionné, de l’exode rural, des concentrations d’hommes seuls, etc. ; et d’autre part en raison d’une politique délibérée des autorités militaires pour développer les bordels militaires de campagnes (BMC) ou les bordels attachés aux villes de garnison, alimentés parfois par les filles de notables récalcitrants. Les prostituées pouvaient être réquisitionnées à partir d’un très jeune âge, dès dix ans. Il s’agissait à la fois de satisfaire les « besoins » des militaires (plus tard, sous le prétexte charitable de limiter leurs exactions contre les populations civiles) et de mener une politique hygiéniste visant à limiter, sans grand succès, le développement des maladies vénériennes. Les BMC sont ainsi légalisés en AOF par un décret de 1909 et liés à l’obligation de contrôle médical. Ils sont véritablement considérés comme d’utilité publique et rattachés aux unités selon une réglementation qui spécifie leur organisation, sous le double contrôle du commandement et du service de santé des armées. Le rythme de fréquentation et la tarification sont arrêtés par le chef de corps. La pratique des bordels militaires de campagne aurait été moins répandue pour la Coloniale que pour l’armée d’Afrique, en raison d’une autre pratique connue sous l’appellation de « mariage à la mode du pays », codifié dès le XVIIIe siècle au Sénégal, et qui consistait à prendre une compagne « indigène » le temps du séjour aux colonies. Les officiers qui n’en profitaient pas étaient jugés excentriques par leurs pairs. Le « mariage » à la mode du pays était en fait un concubinage inégalitaire, permettant de changer de compagne à volonté mais n’assurant aucun droit à cette dernière, pas plus qu’à sa progéniture, l’une et l’autre étant fréquemment abandonnées au moment du retour en métropole. Les archives de la Première Guerre mondiale ont révélé les pressions exercées pour empêcher les soldats coloniaux de se marier aux colonies et plus encore de ramener leur femme en métropole. La pratique a décliné, mais pas disparu, après la Seconde Guerre mondiale. Certains historiens attribuent ce déclin à l’augmentation du nombre de femmes rejoignant leur mari aux colonies. D’autres mettent l’accent sur une intolérance de plus en plus forte à ce type d’unions au sein de la société coloniale ségrégationniste. Plus tard, le stationnement des troupes alliées pendant la Seconde Guerre mondiale a entraîné l’ouverture de nouveaux bordels. La guerre d’Indochine a également donné lieu à un gigantesque marché du sexe. Cette institution des bordels militaires a survécu à la colonisation et n’a, officiellement, disparu qu’après la guerre du Golfe. Aujourd’hui, la pratique subsiste pourtant sous d’autres formes là où sont présentes les troupes pré-positionnées.
Inna Maiga