Au Mali, des militaires ont choisi la manière forte pour obliger le président IBK à démissionner. Ce putsch rondement mené met un terme à une grave crise politique.
L’analyse pour se site Sputnik de Leslie Varenne, directrice de l’Iveris.
Ce mardi 18 août a vu se réaliser le quatrième coup d’État de l’histoire du Mali depuis son Indépendance (novembre 1960-mars 91-mars 2012). Celui de mardi fait suite à une longue crise politique et institutionnelle, en sus d’un fort mécontentement dans l’armée, et l’exaspération des militaires a été encore accentuée par la décision du Président malien prise, le lundi 17 août dernier, de modifier les conditions d’avancement des grades au sein de la grande muette.
Cela dit, la lassitude des soldats du rang est ancienne, compte tenu de leur situation de dénuement et des traumatismes vécus, avec la perte de nombreux frères d’armes, depuis la guerre de 2012.
Ce putsch entre dans la catégorie des «coups d’État populaires», comme l’analysait le journaliste Safwene Grira en 2019: «Pour contourner les sanctions et l’hostilité citoyenne, les nouveaux putschs ont entamé une nouvelle transmutation. Les mutins, l’armée ou une partie de l’armée n’intervient qu’en dernier recours pour dénouer un blocage politique devant une mobilisation populaire assimilée à une révolution. Pour ce faire, l’armée préférera, quand c’est possible, acculer un Président récalcitrant à la démission plutôt que de le déposer franchement. Cette technique s’est exprimée au Zimbabwe, en 2017, puis en Algérie, en 2018.»
C’est en suivant ce schéma que les putschistes maliens ont agi tout au long de la journée du 18 août.
Un coup de génie
Car il faut bien reconnaître que le coup a été mené avec une précision d’horloger. En sept heures chrono, tout était bouclé sans qu’il y ait un mort ou un blessé à déplorer. Le film des événements est édifiant: aux environs de huit heures du matin, une mutinerie éclate au camp militaire de Kati; une heure plus tard, la valse des arrestations des personnalités politiques débute par celle du ministre de l’Économie et des Finances, Abdoulaye Daffé, suivie de nombreuses autres dont celle du très contesté président de l’Assemblée nationale Moussa Timbiné.
En milieu de journée, les manifestants commencent à se rassembler sur le boulevard de l’Indépendance. Au même moment, des généraux sont arrêtés et des protestataires se rendent au domicile du chef de l’État, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Les putschistes demandent sa démission; à 17 heures, ils viennent le cueillir ainsi que son Premier ministre, Boubou Cissé, réfugié chez lui. La troupe se dirige ensuite vers le camp militaire de Kati. À 18 heures, les opérations sont terminées.
Seule ombre à leur tableau et contrairement aux informations publiées ici et là, Karim Keïta n’a pas été emmené avec son père, il reste introuvable. Aux environs de minuit, IBK s’exprime devant les caméras de la télévision publique (ORTM) et annonce sa démission. Les mutins ont tiré les leçons du coup d’État de 2012 qui leur avait coûté cher puisque leur chef, Haya Sanogo, avait fini en prison. Tous les corps d’armée étaient représentés dans le détachement qui a quadrillé le centre-ville et procédé à l’arrestation du Président et de Boubou Cissé.
À la manœuvre, le colonel Assimi Goïta, neveu du général Youssouf Goïta, ancien Directeur de la sécurité militaire sous Amadou Toumani Touré (ATT), le colonel Malick Diaw, proche de Haya Sanogo, et le colonel Ismaël Wagué, fils d’un ancien ministre de Moussa Traoré. Tous sont passés par les grandes écoles militaires, Prytanée, École militaire inter-arme (EMIA).
Un silence étonnant…
Ce déroulé minutieux, efficace et rapide n’est pas sans poser un certain nombre de questions dans une capitale quadrillée par des forces étrangères. La force de maintien de la paix des Nations unies (MINUSMA) est au Mali à la demande expresse des autorités de ce pays. Une de ses principales missions, avec la protection des civils, consiste à rétablir «l’autorité de l’État dans tout le pays». Or, il semble qu’à aucun moment elle n’ait tenté de s’interposer lorsque les mutins se sont présentés à son domicile.
Elle n’a pas non plus essayé d’exfiltrer IBK, alors qu’elle dispose d’une force d’intervention rapide constituée de forces spéciales sénégalaises. Elle n’a pas empêché non plus les multiples arrestations de ministres et de personnalités. Elle a en outre les moyens de garantir la sécurité de toutes ces personnalités dans son nouveau camp ultra sécurisé de plusieurs hectares situé tout près de l’aéroport.
Étrangement, à aucun moment la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) n’a agi. De la même manière, toutes les autres forces en présence au Mali sont restées muettes et inactives. Il n’est pas illégitime de se questionner également sur l’aveuglement des services de renseignement de tous ces pays, y compris de la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), qui disposent de conseillers au sein de l’État-major et du ministère de la Défense et des anciens Combattants tout au long de la préparation des événements de ce mardi 18 août.
Et après?
Si ce putsch magistralement orchestré règle le problème de la crise politique et institutionnelle que vivait le Mali, depuis le 5 juin dernier, date de la première manifestation de l’opposition M5-RFP (Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques) alliée à l’Imam Mahmoud Dicko, il ouvre aussi une grande période d’incertitude et pose d’autres questions. Quels sont les réels desseins des mutins? Ces officiers ont-ils des objectifs patriotiques et veulent-ils mettre fin à la corruption et à la gabegie qui règne à Bamako, comme ils l’annoncent, ou ont-ils un autre agenda?
Le M5-RFP et l’Imam Dicko ont-ils été instrumentalisés pour réussir un «coup d’État populaire» ou participeront-ils à la nécessaire reconstruction du pays? La formation du nouveau gouvernement et surtout le choix des hommes politiques seront une indication sur l’orientation et les réelles motivations de la junte désormais au pouvoir au Mali.
Les Nations unies, l’Union africaine (UA), la CEDEAO (organisation des États ouest-africains), l’Union européenne (UE) et la France ont condamné fermement cette prise de pouvoir et la mise aux arrêts du président Ibrahim Boubacar Kéita et demandent sa libération immédiate. La communauté internationale gronde pour tenter de faire baisser la tension, les pressions, le M5-RFP appelle à une grande manifestation, le vendredi 21 août. Au Mali, ce n’est pas fini…
Source: Sputnik