Le régime d’ATT été destitué et le CNRDRE a réussi à imposer une « révolution » sous l’ère démocratique. On entre donc dès à présent dans une nouvelle phase. Mais le problème du rapport de forces restant entier, il s’agira de déterminer si le pays va vers un changement réel ou vers une simple application des politiques occidentales.
La chute de l’ancien homme fort du Palais de Koulouba marque la fin d’un régime. Peut-être qu’il y aura encore des coups de force, des violences et des morts dans les prochains jours : croisons les doigts et touchons du bois pour exorciser le mal. Mais d’un point de vue politique, la « famille » (au sens propre et politique) qui était au pouvoir depuis 2002 n’aura plus son mot à dire dans les affaires du pays. La crise de ce régime s’était accentuée avec le déclenchement de la crise du Nord dans le courant du mois de janvier dernier, avec la première marche des femmes de soldats à Kati. Cette crise du Nord laissait envisager une rapide évolution politique semblable à celles observées dans les pays maghrébins. Mais c’était sans compter sur la capacité militaire du régime malien et de son appareil sécuritaire qui ne fonctionnait pas efficacement. C’est ce qui a permis une réaction militaire très lourde du CNRDRE, dont la grande majorité des membres sont des sous-officiers et des soldats de rang. Ce qui a permis la chute brusque du Président ATT car pour la plupart de ces putschistes sont des hommes de terrain. La chute d’ATT est une bonne chose pour ceux qui soutiennent l’action de la junte putschistes, mais une mauvaise chose pour ceux qui sont contre. Elle a permis d’éliminer de la scène un chef que beaucoup de ses compatriotes jugeaient irresponsable face à certaines situations et de prise de décision, qui était en plus devenu un des « élèves » le plus mal aimé de certains pays occidentaux et de ses voisins directs, surtout dans la lutte contre le terrorisme. Mais il est nécessaire que les forces internationalistes mènent une réflexion politique sur les conditions de la chute du régime, surtout lorsque ces forces ont condamné la prise du pouvoir par la junte et souhaite que le processus électoral en cours suive son cours normal afin d’instaurer un régime démocratique accepté par tous.
Une probable intervention impérialiste qui tire ses leçons de la Côte d’Ivoire et de la Libye
Quel que soit le jugement qu’on porte sur les forces d’opposition maliennes, il est indubitable que la principale cause de la chute du régime ATT vient de la gestion de la crise du Nord. Une gestion de cette crise par la CEDEAO qui a retenu beaucoup de leçons des précédentes expériences en Côte d’Ivoire et en Libye : on parle d’une force de l’ECOMOG et du gel des avoirs financiers au Mali avec leur habituel lot de « dommages collatéraux » oubliés ou occultés. Pas de troupes au sol, à part quelques conseillers des forces spéciales qui ont joué le rôle de conseillers des forces d’opposition et de support aux missions aériennes ! Une pression importante sur les troupes loyalistes (durement frappées, mais en même temps plus épargnées que lors de l’intervention libyenne : nous en verrons plus loin les raisons) ; et enfin une pression sur le pouvoir déchu, car on apportera un maximum de support militaire tout en mettant tout en œuvre pour les contrôler via les hommes de confiance des puissances occidentales. Le comportement de la CEDEAO dans la gestion de la crise malienne peut ainsi s’expliquer par la volonté de ne pas rééditer «l’erreur » guinéenne où le Capitaine Moussa Daddis Camara avait fini dans une clinique en Europe et ‘est actuellement exilé au Burkina Faso afin de « garantir une transition dans l’ordre » et éviter une trop longue période « d’instabilité ».
Préserver l’appareil de sécurité d’ATT pour mieux contrôler la transition
Le premier objectif de l’intervention de ce bloc ouest -africain au Mali serait de garantir le contrôle de l’Occident sur la dynamique en cours dans ce pays. En même temps, il s’agit d’éviter que se prolonge une situation de « vide du pouvoir » avec la crise du régime, surtout après le ralentissement de la progression des forces de l’opposition. De cette manière, elle dit éviter ainsi toute rupture « radicale » et donc incontrôlable. à A y voir de près, la « recommandation » faite par la CEDEAO à la réunion d’Abidjan, qui consiste à maintenir en place des agents des forces de défense et de sécurité tout en récupérant des responsables du régime d’ATT, ne constitue nullement une volte-face : il s’agit simplement de continuer à traiter avec les mêmes hommes qui ont collaboré avec les services secrets occidentaux sous le régime du Président déchu, et donc à garder un certain équilibre par rapport à la composition hétérogène de ces dirigeants considérés comme n’étant pas encore tout à fait fiables pour l’Occident. Il s’agira aussi d’aider la société malienne à passer de son état de chaos à un état de fonctionnement démocratique, à s’organiser en partis et en institutions, avec un gouvernement et une opposition, et à unifier le pays le plus tôt possible pour mettre en œuvre un programme de réformes judiciaires, économiques et civiles. Ce sera une phase critique dont dépendront le succès et l’instauration d’un Mali libre. Dans beaucoup de pays de la CEDEAO, c’est l’armée qui assure la solidification de qui représente le « bourreau » du peuple : ne suivez le regard… En fait, les sociétés africaines en général, et a société malienne en particulier, ne sont prêtes pour la démocratie. Il est pourtant excitant de voir les gens relever la tête : ainsi, en moins d’une génération, on pourra voir des améliorations. Mais pour l’instant, tout ce qu’on voit, c’est la souffrance des Maliens qui est en train de se comploter au sommet de la CEDEAO. Politiquement parlant, cette volonté ouest-africaine de respecter l’ordre constitutionnel au Mali passera aussi par la Conférence internationale des « amis » du Mali dirigée par Sarkozy. C’est cette conférence qui décidera de la façon d’aider le Mali à sortir de la crise financière. Cette conférence décidera aussi de la façon de diriger les changements politiques et d’assurer la «continuité économique » demandée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (ce fut le cas de la Tunisie et de l’Egypte). Les droits et les besoins du peuple malien sont loin des préoccupations prioritaires des libérateurs occidentaux et leurs « valets » dirigeants africains. Dans un premier temps, la chute d’ATT n’était pas nécessaire car il était partant et peu importent les problèmes qu’il « lèguera » au pays. Mais ensuite, cette chute est devenue inévitable à cause du discrédit du régime et des choix posés par le Président déchu aux soldats et au peuple malien qui rendaient la situation du Nord trop instable, et cela, de manière trop prolongée.
Les contradictions au sein de la classe politique
Pour l’instant, la classe politique n’a pas encore convaincu dans sa démarche suite au coup d’Etat. Mais ce n’est pas sans contradictions, non seulement parce qu’aucun processus révolutionnaire ne se fait sans contradictions, mais aussi à cause de la difficulté à « accorder les violons » pour mener à bien la lutte. La réaction d’Oumar Mariko et du parti SADI n’a pas été surprenante : depuis 20 ans, ils ont toujours soutenu et entretenu une position confuse. Pas de surprise donc qu’ils aient pris parti avec enthousiasme pour ce changement de régime. Par contre, le front contre le coup d’Etat n’a pas unanimement partagé les raisons de fond qui ont poussé le CNRDRE à faire ce coup. On a vu ceux qui ont pris acte, le temps de voir l’évolution de la situation. D’autres se sont opposés clairement à ce coup d’Etat tout en se déclarant contre le nouveau régime et en espérant sa chute. Enfin, d’autres se sont opposés au coup de force, mais demandent que des négociations aient lieu entre les différentes parties pour voir quelle méthode adopter. Ces diverses opinions ont fait que la réponse a été trop faible, confuse et incapable de se profiler en une opposition claire et obstinée sur le fait qu’aucune lutte ne représentera jamais le salut pour les acteurs des processus populaires, ni ne leur apportera jamais la démocratie et la liberté. Pour toutes ces raisons, la question d’aujourd’hui, c’est de savoir : « Qui va libérer le Mali de ce bourbier politique et financier ? ». Selon nous, c’est le peuple malien lui-même, notamment les jeunes, qui sont en ce moment au cœur de la vie du pays, qui répondront à cette question. Notre espoir, c’est la possibilité d’un Mali nouveau, liée à des aspirations de développement et d’épanouissement. Mais il faudra être responsable et à la hauteur de la mission, sinon…
Paul N’guessan