Les populations de l’Afrique subsaharienne en général et plus spécifiquement celles des pays du Sahel n’ont été gouvernées que par la force ou “fanga”. Bien avant la colonisation, les empires et les royaumes qui ont existé dans nos contrées ont été dirigés par des dictateurs dans le meilleur des cas ou des tyrans dans le pire des cas. Le pouvoir colonial s’est appuyé sur la force militaire ou “sorodassifanga” pour assurer sa conquête et asseoir sa domination.
Après les indépendances de 1960, les partis uniques de fait ou les partis uniques constitutionnels n’ont fait que perpétuer la dictature qu’elle soit militaire ou civile. On se retrouve donc dans une situation dans laquelle les militaires ont toujours été associés de gré ou de force à la gestion du pouvoir présidentiel et c’est d’ailleurs l’institution militaire qui représente la branche armée de nos États postcoloniaux.
L’autre particularité en Afrique et dans les pays sahéliens ce sont les inégalités parfois très fortes entre le sommet (l’élite ou “sanfèmogo”) et la base (le peuple ou “dougoumamogo”). En quelque sorte, il y a une contradiction immense entre le suffrage universel, la règle majoritaire de la démocratie et la concentration du pouvoir politique, social et économique. Le peuple est marginalisé, exclu et instrumentalisé par les pouvoirs politiques et les détenteurs des pouvoirs économiques. Une partie du peuple se trouve dans l’armée et l’autre partie dans le secteur public ou informel au cas où il n’est pas assis sur le banc des chômeurs ou sur la route de l’émigration clandestine. Dans une telle circonstance il ne faut pas être surpris de l’instabilité politique ou sécuritaire dans nos pays où parfois les gens manquent du minimum vital pour survivre.
Très souvent, les militaires font des coups d’État parce qu’on leur a demandé d’arrêter une dynamique politique ou sécuritaire qui apparaît comme un danger ou une menace pour des autorités sociales et économiques déjà établies. Car, dans nos pays, ce sont les civils ou l’ex-puissance coloniale qui font les coups d’État, même si les militaires les transcrivent dans le langage étatique. Ce n’est un secret pour personne que tous les partis politiques influents de notre échiquier politique national essaient de recruter des militants dans nos casernes. Ce qui voudrait dire que tout leader politique qui veut prétendre au fauteuil présidentiel rêve d’avoir ses Colonels ou ses Généraux au sein de la grande muette qui leur permettraient d’intervenir soit par un coup d’État, soit par des pressions dans un sens favorables à ses intérêts. Tels sont les mécanismes d’une politique prétorienne où tout le monde frappe aux portes des casernes, l’opposition républicaine comme la majorité présidentielle, les opérateurs économiques, etc. C’est parce que la société politique ou civile est prétorianisée, ou parce qu’un groupe civil important pense que seule l’armée peut barrer la route à une menace politique ou sociale, qu’il y a un coup d’État. Les coups d’État ne sont pas seulement des décisions militaires, ce sont des décisions militaires appuyées sur des forces civiles. Un coup d’État militaire n’est pas possible sans une préparation de l’opinion par les civils, c’est-à-dire sans qu’un ensemble de groupes civils ne justifie par avance l’intervention militaire. Les interventions ne sont ni spontanées ni strictement militaires. Il est exclu, dans des États modernes, que l’armée prenne le pouvoir de sa propre autorité. Il faut avoir à l’esprit cette règle qui veut que chaque parti ait son colonel ou son général.
Lorsqu’on cessera de frapper aux portes des casernes, il n’y aura plus de coup d’État dans nos pays, parce que l’on a trouvé d’autres moyens d’exprimer ou de défendre ses intérêts et qu’on n’a plus ni le besoin, ni le prétexte. Des prétextes pour faire un coup d’État, il y en a plusieurs sous nos tropiques : la crise de valeur, la crise politique, la crise sanitaire, la crise de gouvernance couplée à la crise sécuritaire liée à la lutte contre le “terrorisme” avec son lot de victimes civiles et militaires nécessitent d’avoir un État fort, donc militaire.
Sambou Sissoko