20 janvier : Honneur à nos forces armées

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Le 20 janvier n’est pas la date de création de l’armée malienne. Si elle est retenue comme jour anniversaire, c’est qu’elle renvoie à un événement d’importance capitale : l’annonce, devant les membres du corps diplomatique accrédité à Bamako, par le président Modibo Keïta, de la demande faite à la France d’évacuer les bases militaires qu’elle occupait sur le territoire national. C’était une affirmation de la souveraineté assumée depuis le Congrès extraordinaire du 22 Septembre 1960 qui a proclamé la République du Mali, libre de tout lien avec la France.

 

Il nous est arrivé, dans nos précédentes livraisons, de vous relater ce que fut notre force de défense, de sa création à la date du 26 mars 1991 et ce qu’elle est devenue depuis lors : d’abord, imposante par sa puissance de feu, ensuite, devenue l’ombre d’elle-même. Cependant, force est de reconnaître que nos soldats ont fait preuve de prouesses sur les différents fronts sur lesquels ils ont été engagés.

Il vous a été donné d’apprécier, avec notre parution du 14 août 2017, ce que fut le comportement de nos hommes dans l’Agacher afin de s’opposer aux velléités annexionnistes de Thomas Sankara. Nous profitons, cette semaine, de la célébration du 57ème anniversaire de leur fête pour vous donner un autre aperçu de leur bravoure sur le champ de l’honneur à travers les extraits du carnet de route d’un vétéran de la deuxième rébellion de quelques jeunes Touaregs de l’Adagh. Volontairement, nous avons choisi de taire son nom afin de le laisser savourer, en toute tranquillité, les délices d’un repos bien mérité, parmi les siens, dans le calme d’une de nos localités de l’intérieur.

Avant les extraits, quelques mots sur cette rébellion contre l’Etat malien, en réalité, la première, si l’on tient compte que du fait que ce qui  s’est produit en 1963-1964, était plus la manifestation d’une insatisfaction qu’une volonté de se séparer du Mali.

 

  1. LES CAUSES :

A la proclamation de l’indépendance du Mali, les autorités du nouvel Etat supprime le statut particulier que les Français avaient reconnu à l’Adagh. La région est intégrée, sans préparation,  au reste de la Nation à travers des mesures que ses natifs jugent vexatoires. En 1962, le vieil amenokal Attaher Ag Illi s’éteint à un âge très avancé. La Djemaa (assemblée des notabilités) de l’Adagh lui choisit, comme successeur, son fils aîné, Zyed Ag Attaher. Modibo Keïta et ses camarades de l’Union Soudanaise RDA n’apprécient pas le choix. Zyed est destitué au profit de son cadet, In Talla Ag Attaher. Il en ressent de l’amertume, mais, contre mauvaise fortune, fit bonne mine. Les choses auraient pu en rester là si un événement, des plus fortuits, n’était intervenu, pour provoquer l’embrasement.

En effet, le 14 mai 1963, Elladi Ag Alla et son cousin, ne supportant pas les railleries mal placées d’un goumier,  dérobe des fusils et des chameaux appartenant au goum.  Les deux jeunes gens, après leur « coup », intègrent un groupe de jeunes mécontents rassemblés autour de Zyed et, ensemble, « prennent la montagne », pour rééditer une pratique des lieux, celle du « banditisme d’honneur ». La réaction du pouvoir central ne fut pas des plus adroites. Ce qu’une intervention du goum de Kidal aurait pu régler est considéré comme une tentative de se soustraire de la République. Les pleins pouvoirs sont donnés au capitaine Diby Silas Diarra pour restaurer l’ordre, avec, sous son commandement, trois bataillons dont, à ses dires, il ‘utilisera qu’un seul sur le terrain des opérations. L’ordre est rétabli, mais au détriment de la confiance que le pouvoir aurait dû créer dans cette zone de l’extrême nord, non encore habituée à la cohabitation avec les ressortissants du sud.

A l’issue de cette guerre, beaucoup de jeunes gens émigrent vers l’Algérie d’abord, la Libye, ensuite. A la suite des sécheresses de 1974 et de 1985, leur nombre grossit davantage. Mouammar Kadhafi qui a pris le pouvoir en Libye le 1er septembre 1969 voit le profit qu’il peut tirer d’eux pour la concrétisation de son projet de Grand Sahara allant du Sénégal à l’Iraq. Il les enrôle dans son armée, les envoie se battre au Tchad, au Liban, en Palestine, en Afghanistan. Par la suite, ce sera la rupture. Les jeunes gens s’émancipent d’une telle encombrante, s’organisent, tiennent un congrès à Paris à l’issue duquel ils se dotent de structures politiques à côté d’une branche armée et décident de rentrer au pays pour proclamer, sous le nom de l’Azawad, l’indépendance des deux régions du Nord d’alors : celle de Gao et celle de Tombouctou.

 

  1. LE CONFLIT

 

Les forces paramilitaires de l’Etat arrêtent certains de ces jeunes rentrés clandestinement au pays avec, en leur possession, les plans de l’insurrection envisagée. A partir de ce moment, ces derniers, se sentant découverts, déclenchent les hostilités avant la date prévue. Beaucoup de spécialistes des questions touarègues, Pierre Boilley, Hélène Claudot-Hawad, Anne Saint Girons, entre autres, se sont longuement prononcés sur cette rébellion, n’hésitant pas à gloser sur les prétendus massacres des populations civiles par l’armée, mais, soigneusement, ils évitent d’en relater les premières péripéties, tant celles-ci, au regard des droits de l’homme, sont affreuses.

 

La rébellion de 1990 a débuté le 29 juin par l’extermination de la famille du sous-préfet de Tidermène suivie de l’assassinat des gendarmes de la garnison de Ménaka surpris dans leur sommeil. Dès que la nouvelle est parvenue à Bamako, les dispositions nécessaires sont prises : un QG opérationnel est installé à Gao, un bataillon est envoyé au front, trois mois sont donnés aux responsables militaires pour restaurer l’ordre. Dans un premier temps, l’avantage est aux insurgés. Ils procèdent par raids rapides avant de se fondre dans la nature. Mais, cela finit par se retourner contre eux car, n’arrivant pas à investir une seule localité et à s’y maintenir,  ils vont se voir contraints de se lancer dans une éperdue fuite en avant. L’armée révise sa stratégie, enserre les rebelles dans un espace délimité et les contraint à solliciter le cessez-le-feu pour engager des négociations. Au mois de septembre, le chef du QG opérationnel, Mady Monékata, peut annoncer au président Moussa Traoré de passage à Gao : « de la rébellion, il ne reste que du résiduel. »

Comment cela s’est-il passé sur le terrain des opérations ? A cette question répond un vétéran qui a été acteur sur plus d’un champ de bataille. Il commence par se présenter pour donner, ensuite, des indications sur ses actions.

 

III. CARNET DE ROUTE : EXTRAITS

 

J’ai échoué au DEF pour avoir refusé de chanter « la voix de Modibo a sonné le salut » et me suis engagé dans l’armée tout en suivant les cours du soir à Bamako. En 1973-1975 : caporal, je suis désigné pour effectuer un stage en Union Soviétique. A mon retour en 1976, je suis affecté au 2è peloton, CTA N° 2 à Ségou. L’année d’après,  je réussis au concours d’entrée à l’Ecole Militaire Interarmes (EMIA), peloton préparatoire.

Au terme de trois ans de formation à l’EMIA je suis nommé sous-lieutenant en 1980. La même année, je  retourne en URSS pour un stage à l’Ecole militaire de Symphéropol. A mon retour, de 1980 à 1981, j’enseigne au peloton préparatoire et, de 1981-1983, comme commandant de batterie, je suis nommé adjoint au commandant de compagnie de Gao.

 

1983-1984 : pour la troisième fois, je séjourne en URSS pour un stage à l’Ecole Supérieure de la Faculté d’armement classique et à réaction. A mon retour, je suis nommé commandant de batterie à Kati ; j’y passe moins de quatre mois.

 

1984-1992 : en état de disgrâce, je suis renvoyé à Gao comme commandant de batterie ; huit années d’éloignement de Bamako, interrompues en 1991 par un stage en France à l’Ecole d’Application de l’Artillerie

 

En juin 1990, éclate la deuxième rébellion touarègue. Je me trouve à Gao. Les hostilités me donnent l’occasion de monter au front pour la deuxième fois, après sa participation  au  conflit frontalier pour la possession de l’Agacher. Avec mes troupes, je mène les assauts contre les rebelles à Taïkaren, Boureïssa, Tinzawaten,  Gao. Ci-après, une révélation des faits.

 

TAIKARENE  I

 

Le site de Taïkarène est situé à 250 kilomètres de Ménaka. Le gros des forces rebelles se trouvent en face de nous, retranché sur la colline. Il comprend l’infanterie et des éléments blindés. Outre une batterie aérienne, nous disposons de roquettes pesant chacune 100 kilogrammes, pour une longueur de 3 mètres et un rayon d’action de 400 m2. .  Chaque roquette est munie d’une vingtaine d’obus.

 

Le colonel Mady Monékata, me demande si l’action de nos hommes peut avoir des effets sur la colline. Je demande à consulter la carte. La colline, comme en informe la légende, ne possède pas de racines la prolongeant sous terre. En réalité, elle est constituée par d’énormes blocs de rochers accumulés, disposés directement sur la terre meuble.

 

Fort de  ce renseignement, j’élabore un plan d’attaque et passe à son exécution. Je débute avec des tirs de harcèlement. Ils se poursuivent toute la nuit. Le matin, nous passons à l’action, avec un armement nous permettant de procéder à des tirs de 20 kilomètres de portée. Au départ, ce sont des tirs de diversion sur l’extrémité avant de la colline à l’aide de six pièces de BM 21 (Boéva Machina 21). Puis, nous changeons de tactique et procédons à des tirs simultanés sur les extrémités avant et arrière du massif, rendant ainsi tout repli, toute retraite impossible.

Dans le courant de la matinée, la troupe monte à l’assaut. A 16 heures, tout prend fin, la colline de Taïkaren est sous notre contrôle, la zone est nettoyée. L’artillerie se retire.  Bilan des opérations : 25 morts du côté des rebelles.

 

BOUREISSA-KIDAL

 

Nous quittons Taïkarène pour nous rendre à Ménaka. De Ménaka, nous rallions Gao et procédons à l’entretien des armes. La hiérarchie veut nous envoyer, immédiatement à Boureissa. J’estime non indiquée la décision : mes hommes viennent d’arriver du front, ils possèdent de la famille à Gao, ils ont droit à quelques jours auprès des leurs.

Trois jours de repos sont accordés. La troupe l’estime long. Après deux jours, soucieuse d’en finir le plus rapidement possible, elle se remet en route, destination Kidal. Le troisième jour de notre départ de Kidal, nous arrivons à Boureïssa.

L’objectif, au départ, n’est pas Boureïssa, mais Kidal. Aux environs de la ville, avant nous, certains éléments de notre armée campent au bord d’un puits occupé par les Touaregs. Positionnés à une distance respectable du point d’eau, ils en interdisent l’accès à l’aide d’une mitrailleuse. A notre arrivée, je demande de l’eau. Il me fut répondu : pour boire, il y en a ; pour se laver, il n’y en a pas ; le ravitaillement se fait à partir d’un lieu situé à 100 kilomètres d’ici. Une telle situation ne peut perdurer. Je décide d’y mettre fin, consulte la carte et prépare les tirs.

 

A 5 heures 30 minutes, nous attaquons, avec le souci de préserver le puits. La mitrailleuse est placée à l’extrémité avant du dispositif de l’ennemi. D’un tir ajusté, je la mets hors d’état d’être utilisée. Le puits tombe en notre possession après 15 minutes de tirs. Un prisonnier, une fois pris, est interrogé. Il révèle l’emplacement du poste rebelle à 10 kilomètres. Je décide de  le rendre non opérationnel et adopte la tactique suivante : d’abord, des tirs de 10 kilomètres de portée, ramenée ensuite à 8 kilomètres et, enfin, à 6 kilomètres. Certains m’ont accusé de gaspiller les munitions. Cependant, le résultat ne se fit pas attendre. Les rebelles, commandés par Fayçal Ag Kiba, se rendent. La zone est nettoyée , un important lot de matériels est découvert dans une grotte et saisi.

 

TINZAWATEN

 

Aucun répit n’est laissé aux rebelles. De Kidal, nous nous dirigeons sur Tinzawaten (Tinza). La localité a la particularité d’être séparée en deux parties par un oued, délimitant ainsi deux secteurs : Tinza-Algérie et Tinza-Mali. A notre arrivée, nous trouvons le poste occupé. Nous franchissons l’oued avec une compagnie renforcée : 3 sections d’infanterie et 1section de BRDM. Les combats sont engagés. Sept rebelles se rendent sans arme avec un enfant âgé d’une dizaine d’années. La  zone est nettoyée et nous nous replions sur Kidal. De Kidal, nous regagnons Gao.

 

TAIKAREN II

 

A notre arrivée, nous  recevons l’ordre de nous diriger, de nouveau sur Taïkaren, les rebelles ayant réinvesti les lieux. Ils sont au nombre de 360 répartis par groupe de 10 entre 36 véhicules Toyota. A la vue du site, je dis : « A  bè ban bi dé : ça prendra fin aujourd’hui. »

Le dispositif militaire est renforcé. Je dispose de 4 pièces de BM 21, portant chacune 40 obus.  J’attaque l’objectif sur le flanc gauche 100 obus auraient suffit. J’en ai tiré 360. La déroute est totale. Pas de survivants parmi les rebelles.

 

IV. LE CESSEZ-LE-FEU

 

C’est à la suite de Taïkaren II qu’Iyad Ag Ghaly a demandé le cessez-le-feu. Il rencontre le colonel Monékata à Gao, au SMB et lui confie : en République du Mali, il ne reste plus qu’une soixantaine de rebelles. Ainsi prit fin, sur le terrain, la rébellion de 1990.

Qu’elle ait été matée ne fait l’ombre d’un doute. Ce sont les rebelles eux-mêmes qui reconnaissent leur déroute. Arrivés de Libye avec la volonté de disloquer la Mali, ils se voient obligés d’en accepter l’unité et l’intégralité. Ce ne sont pas les experts français qui diront, écriront cela. Dans Les Touaregs Kel Adagh (Editions Karthala, page 475), Pierre Boillley préfère verser dans la falsification de l’histoire en rapportant : «  Affolé, Moussa Traoré chercha désespérément les alliances internationales qui lui permettraient d’étouffer la rébellion ». Anne Saint Girons n’agit pas autrement qui, dans Les Rébellions touarègues (Editions Ibis, page 43) fera état de « la situation sur le terrain tournant sinon à la déroute des armées, tout au moins à une humiliante mise en échec… »

Mais, Boilley se fait plus objectif, trois pages plus loin en citant un de ses informateurs et pas des moindres, Ibiya Ag Sidi. Dans un entretien que ce dernier lui a accordé le 28 juin 1994, la déclaration suivante : « on ne prévoyait pas un combat plus long, d’abord par insuffisance de moyens, pour aussi des raisons stratégiques, il n’était pas possible de continuer le combat au-delà de six mois. » Dans un texte inédit, Mémoire historique et combattante de l’armée, un groupe d’officiers maliens, aujourd’hui à la retraite, ont apporté leur témoignage sur la manière dont nos soldats ont mis fin aux velléités sécessionnistes des jeunes Touaregs de l’Adagh en 1990 :

 

« Le quadrillage de la zone adopté par le commandement a affaibli la capacité des rebelles de se mouvoir comme ils le voulaient. C’est ainsi qu’ils ont été obligés de se cacher dans des repères et des caches dont les accès ne sont connus que par eux-mêmes seulement, tels que les monts de Taïkarène et du Tighar Ghar. C’est à partir de ces places fortes qu’ils ont demandé à négocier à la fin des hostilités avec le gouvernement du Mali à travers l’Algérie. C’est ce qui conduira à la signature des accords de Tamanrasset en 1991… »

 

Telle était l’armée malienne sous la Dictature. C’est cet efficace outil de défense que ses successeurs ont méthodiquement émasculé arguant que « Moussa Traoré a investi dans la quincaillerie au lieu de développer l’agriculture » ; « Avec la démocratie, un pays comme le Mali n’a pas besoin d’armée. » La conséquence est connue : pour avoir détruit l’armée, ils nous ont imposé, sur notre propre territoire, la présence d’armées étrangères, de la sous-région, du monde entier. Si Ibrahim Boubacar Keïta réussit à réhabiliter nos forces de défense, ce que nous lui souhaitons vivement, il entrera dans l’histoire comme celui qui nous a dotés, de nouveau,  de ce dont nous avons si besoin pour nous adonner à nos activités : la sécurité.

Diaoullèn Karamoko Diarra

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