Le comédien Habib Dembélé dit Guimba : S’il n’ y a pas de candidat auquel je fais confiance, je me présenterai à l’élection présidentielle de 2012»"

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Le célèbre comédien malien Habib Dembélé, dit Guimba National, est à Bamako depuis le 16 juillet dernier pour un mois de vacances. Nous nous sommes entretenus le dimanche 22 juillet dernier avec l”époux de la cantatrice Fantani Touré au siège de Kora films à Magnambougou. Dans cet entretien exclusif à bâtons rompus, Guimba National nous a parlé un peu de tout, à commencer par son contrat avec Peter Brook en France, de la rumeur sur son arrestation pour une affaire de drogue, de sa carrière politique et d”autres sujets. S”agissant de sa prétendue arrestation, il dira tout simplement que cette rumeur n”a jamais terni son amour envers les Maliens. Concernant l”arrestation récente de cinq journalistes, il estime que le Président de la République a été mal conseillé en laissant arrêter des journalistes pour un simple sujet de dissertation. Avant de conclure en ces termes : "S”il n”y a pas de candidat auquel je fais confiance, je me présenterai à l”élection présidentielle de 2012".

Bamako Hebdo : Bonjour Habib. Si l’on vous demandait de vous présenter, que diriez- vous?

Habib Dembélé dit Guimba : Je dirai simplement que je m”appelle Habib Dembélé, plus connu sous le nom de Guimba national. Je suis un acteur. Comme vous le savez, je n”ai pas fait un long parcours scolaire. J”ai fait l”Institut National des Arts (INA), après le Diplôme d”Etudes Fondamentales (DEF). Ensuite, j”ai fait deux ans de service militaire au SNJ avant d”être mis à la disposition du ministère de la Culture, qui m”a mis à la disposition de la Direction nationale des arts qui, à son tour, m”a affecté au groupe dramatique national "Le Kotéba". J”y suis resté pendant quelques années. C”est après que nous avons créé la compagnie "Gwakulu" avec Ousmane Sow et Michel Sangaré. Malheureusement, cette compagnie est morte très vite. Un jour, Cheick Oumar Sissoko m”a demandé pourquoi je jouais au fainéant alors que j”étais intelligent. Il m”a donné un bureau pour que je puisse écrire des textes. Cheick Oumar n”est ni mon père ni mon grand frère, c”est simplement un véritable copain. L”être humain Cheick Oumar est vraiment tout pour moi.

Je me suis installé dans mon bureau et j”ai commencé à écrire mon premier texte en français. Je me souviens, c”était "A vous la nuit". A ce moment là, je venais de renouer avec Fanta qui venait de divorcer, tout comme moi. On se connaît depuis 1983. Elle m”a dit qu”elle voulait se lancer dans la musique et qu’elle était avec un groupe, que je ne veux pas nommer, qui lui promettait une tournée internationale. Malheureusement, dès que la tournée a approché, son nom a été effacé de la liste pour mettre d”autres noms. Je me suis dit que la meilleure façon d”aider ma femme, c”était d”être à côte d”elle. J”ai écrit mon texte en faisant en sorte qu”elle puisse chanter dans le spectacle. J”ai commencé à faire des spectacles avec elle. C”est ce qui a permis de faire connaître son talent au plan international.

Vous avez joué dans combien de films?

Franchement, je ne connais pas le nombre de films dans lesquels j”ai joué. Je n”ai jamais compté. Je sais quand même que c”est beaucoup. J”ai écrit des scénarios dans lequel j”ai joué moi-même. J”ai également participé à beaucoup de films en tant que traducteur et j”ai été assistant et réalisateur. C”est vous dire que j”ai travaillé dans tous les métiers du cinéma, sauf la partie technique.

Vous rappelez-vous de votre premier film?

Je crois que le premier film dans lequel j”ai joué, était un film gréco-malien dont je ne me souviens pas du titre. C”est des Grec qui étaient venus au Mali, ils avaient fait un film dont une scène devait être tournée en Afrique. A cette époque, j”étais en 2ème année à l”INA. J”ai joué juste un petit bout dans ce film. Ca m”a porté bonheur, puisque, depuis, je n”ai plus arrêté de tourner.

Pourquoi avez-vous choisi ce métier?

En fait, je suis venu par hasard dans ce métier. Quand j”ai été orienté à l”INA, j”ai passé deux à trois mois à essayer de changer d”établissement. Je voulais aller au lycée, faire de grandes études afin d”être un jour ministrable. Etre à l”INA, c”était vraiment rigolo. Dans le temps, on disait que celui qui allait dans cet établissement, avait échoué. C”était également mon état esprit. Le Directeur des études, à l”époque Dadié Dagnoko, auquel je dois une très grande partie de ma formation littéraire, m”a encouragé à rester. Je suis resté comme un petit orphelin sans espoir, puisque je ne connaissais personne. Le jour où mon père est venu me dire qu”il allait bientôt en retraite, je me suis rendu compte qu”il y avait des choses très importantes qui m”attendaient, puisque mon grand frère n”avait appris que le Coran auprès de mon père, car je suis d”une famille maraboutique. C”est à partir de ce jour-là que je me suis engagé sérieusement dans le domaine de l”art dramatique.

Que représente le théâtre pour vous?

Ce métier représente tout pour moi. Je me suis marié avec l”argent du théâtre. J”ai eu des enfants que j”entretiens avec l”argent du théâtre. J”ai une petite maison inachevée que j”ai faite avec l”argent du théâtre. J”ai une petite voiture que j”ai achetée avec l”argent du théâtre. Le théâtre représente pour moi quelque chose de très important pour plusieurs raisons. Une des raisons est que c”est de l”argent propre que tu gagnes dedans. Aujourd”hui, je gagne bien ma vie, même si je fais beaucoup de dépenses. La première des personnes que j”ai oubliée dans le sens de l”entretien sur le plan matériel, c”est moi-même. Toute ma vie est consacrée à la famille de mon père, mes cousins, mes sœurs, mes frères, mes enfants.

Le plus gros investissement que j”ai fait, malgré le bon traitement financier que j”ai, c”est d”avoir envoyé mon propre fils en Malaisie pour qu”il étudie. Je l”ai d”abord envoyé au Ghana, lui ai pris un appartement et lui ai payé des cours pendant un an, afin qu”il apprenne l”anglais. Pourquoi le Ghana ? En fait, j”avais trouvé pour lui une école à 3 000 euros pour qu”il aille étudier en France, avec les documents au complet. J”ai pris le soin de dire à Modibo Diarra, chef de protocole du Président de la République, que c”était mon propre fils que je voulais envoyer en France. Il m”a promis de lui obtenir un visa au Consulat de France. Il ne l’a jamais fait.

Mon fils a été au Consulat et n”a pas pu obtenir de visa. Je lui ai dit que rater un visa pour la France n”était pas une fatalité. C”est ainsi que je lui ai proposé l”école Kwame N”Krumah pour apprendre l”anglais pendant un an, puisque je suis convaincu que l”avenir se situe beaucoup plus du côté des pays anglophones que des francophones. Il a passé un an à apprendre cette langue. Je suis allé sur Internet pour lui chercher une école, que j”ai trouvé en Malaisie, où le problème de visa n”était pas compliqué pour moi. Pour l”instant, il est dans une espèce de tronc commun où il étudie tout. Il choisira une spécialisation l”année prochaine.

C”est vous dire que l”argent du théâtre est très propre. Il n y a pas de magouille dedans. Tu vends une partie de ton esprit, de ton corps pour édifier les gens. Le théâtre représente toute ma vie.

Peut-on savoir les raisons de votre absence du Mali?

Effectivement, je suis absent au Mali depuis quelques années. Tout est parti des nombreuses tournées que j”ai effectuées à travers le monde. Vous savez, j”ai créé une structure avec Sotigui Kouyaté, dénommée "Mandékas théâtre international" qui avait un seul objectif, former les comédiens maliens afin de leur permettre d”obtenir un salaire assez conséquent. Malheureusement, ce groupe s”est très mal terminé.

C”est grâce à Sotigui Kouyaté que j”ai connu Peter Brook. Depuis cinq ans, nous travaillons ensemble. Ce que beaucoup de gens ne savent pas, c”est que Peter Brook est le plus grand metteur en scène du théâtre du monde. Il était le Directeur du plus grand théâtre d”Angleterre. Après, il a racheté le "Théâtre des Bouffes du Nord " de Paris. Un spectacle de Peter Brook est acheté un an à l”avance dans toutes les grandes villes du monde. Quand Dieu te donne la chance de tomber sur un type comme ça et tu fais le tour du monde, une fois par an. Depuis 2002, je vais dans toutes les grandes villes du monde chaque année.

Votre contrat avec Peter Brook continue-t-il?

Je suis normalement en fin de contrat mais il a été renouvelé. Nous allons continuer à travailler ensemble jusqu”en mai 2008. Après, j”ai donné ma parole à un théâtre de Suisse dont le Directeur est un ami à moi. Je vais probablement travailler avec ce théâtre pendant une année, avec la possibilité de venir faire une création au Burkina Faso et au Mali afin de faire bénéficier de jeunes comédiens de cette expérience.

La rumeur circule depuis quelques mois que vous avez été arrêté dans une affaire de drogue en France. Qu”en est-il?

J”ai entendu parler de cette rumeur depuis très longtemps, mais, franchement, je me suis dit tais-toi et travaille. La meilleure façon de répondre aux provocations, c”est le silence. Les rumeurs, en bien ou en mal, pour un artiste, c”est comme de la pub. Mais je veux du concret maintenant. J”ai tout le temps un texte que je peux jouer. En une année, j”ai joué dans tous les grands théâtres du monde, à part l”Asie et l”Australie, qu”on va entamer. J”ai joué chaque soir devant une salle archicomble et à la fin du spectacle, ce sont des centaines de spectateurs qui se lèvent pour t”acclamer pendant au moins une dizaine de minutes. Cela, pour le renom du Mali. J”en suis comblé. Je ne maudis personne, même ceux qui ont fait circuler cette rumeur, qui n”a jamais terni mon amour envers mes fans au Mali. Je suis au Mali et je vais rester ici pendant un mois et demi. Je suis content de regarder tous les visages que je croise. Je peux en vouloir à la rumeur, pas aux Maliens. Les gens doivent savoir que je suis en train de travailler avec, dans ma main droite, le drapeau du Mali. Je donne des conférences pour faire connaître mon pays, le Mali. Nous faisons partie des pays les plus pauvres au monde, c”est vrai, mais nous sommes l”un des rares pays où l”on meurt de faim.

A quand le retour définitif de Guimba au Mali?

Pour un artiste, on ne peut pas parler de retour définitif dans son pays. Je ne suis pas un immigré et je ne suis pas en situation irrégulière. Je voyage parce qu”on m”envoie un contrat au Mali, que je signe. Dès que j”arrive en France, mon titre de séjour est renouvelé, Paris est ma plaque tournante, pour abriter le Théâtre des Bouffes du Nord. J”ai pris un appartement pour ne plus aller à l”hôtel et pour que ma femme se dise qu”elle est dans le foyer de son mari. Et aussi pour que les frères maliens viennent me rendre visite à la maison et qu”on rigole, qu”on cause.

Comment parvenez-vous à concilier métier et foyer?

Vous savez, je suis un garçon très timide. Je pense que les gens savent faire la différence entre la personnalité, si j”ai une personnalité, et les personnages que j”interprète sur scène. Quand je suis à la maison, je suis chef de famille et on m”appelle "Papa". J”assure toutes les dépenses de ma famille. J”assume tous les devoirs qu”un chef de famille doit assumer. J”essaye de donner une très bonne éducation à mes enfants, de la manière dont j”ai moi-même été éduqué. Ma femme ne me voit pas comme comédien.

Pour elle, je suis le Papa de la famille, comme elle est la Maman de la famille. Ma position par rapport au combat de la femme étant claire, c”est-à-dire qu”elle n”a jamais été esclave d”un homme, je donne pleins pouvoirs à ma femme afin qu”elle fasse de sa vie ce qu”elle veut. J”essaye simplement de l”aider, de lui ouvrir des réseaux, de la présenter mes partenaires.

En somme, de faire en sorte qu”elle puisse aller de l”avant et bénéficier de beaucoup de choses. Je ne suis pas un chef de famille dictateur, qui dit à sa femme de ne pas sortir, non. Un an après la création de la compagnie Guimba national, c”est ma femme qui en était la trésorière. Je partais simplement signer les contrats, mais c”est elle qui allait récupérer l”argent et le gérait comme elle voulait. Je suis Papa à la maison, où j”essaye d”entretenir de très bonnes relations avec mes voisins.

On s”attendait à votre candidature à la présidentielle de 2007?

Je ne me suis pas présenté parce que tout simplement j”avais un engagement avec Peter Brook. Mais, l”âme politique qui est en moi n”est pas morte. Je suis toute l”actualité politique du Mali, même en étant en France. Je dois prendre mon métier au sérieux. Je n”avais pas le temps de venir au Mali. Vous savez, mon seul moment de repos, c”est le moment où je suis dans l”avion. Sinon, tout le reste du temps, je joue. J”ai tenu à me manifester en écrivant dans la presse, en souhaitant que Zoumana Sacko se présente à l”élection présidentielle.

Parce qu”il a fait ses preuves au Mali. Personne ne l”a soupçonné de vagabondage, de vol. Cela fait que j”ai beaucoup confiance en lui. Très sagement, Zoumana a décliné, en me laissant croire que ça peut venir un jour. Au fond de mon cœur, je souhaitais voir émerger Oumar Mariko qui, pour moi, est le plus proche de la vérité. Malheureusement, ça n”a pas marché pour lui cette fois-ci. Mais, un jour, j”espère que Oumar va venir faire un audit de tous ceux qui seront passés aux commandes avant lui. Il faut un révolutionnaire comme Oumar Mariko pour diriger le Mali. J”ai n”ai pas beaucoup apprécié le fait que, très vite, des grands partis aient-dit qu”ils n”avaient pas de candidats et qu”ils soutenaient la candidature d”ATT.

Ce n”est pas pour faire le bonheur d”ATT. J”ai apprécié la position d”IBK qui a déclaré qu”il allait se présenter. Je ne me suis pas présenté cette année, mais il n”est pas exclu qu”un jour je le refasse. Mon idéal en 2002 était de démystifier le pouvoir et de montrer que chaque Malien pouvait se présenter à l”élection présidentielle. Je me fous d”être Président de la République, mais si j”avais été élu, je l”aurais assumé. J”ai fait ma campagne au Carré des martyrs, dans les hôpitaux, en prison et sur les marchés.

En 2002, je n”ai pas soutenu de candidat. C”est grâce au Professeur Madiassa Maguiraga que j”ai été candidat. C”est une révélation que je veux vous faire aujourd”hui.

Est-ce que Guimba sera au rendez-vous en 2012?

Si je trouve des candidats auxquels je peux faire confiance, je soutiendrai ces candidats. Mais s”il n”y a pas de candidats auxquels je peux faire confiance, je me présenterai en 2012.

Que pensez-vous de la gestion du pouvoir actuelle?

Tout le monde est au courant du vagabondage financier qui se passe au Mali. Je pense que les journaux devraient publier le salaire de tous les Maliens, à commencer par les ministres, les députés, les directeurs généraux, jusqu”au planton. Pour qu”on sache qui gagne quoi au Mali, lorsque l”on voit les véhicules dans lesquels ils circulent et les châteaux qu”ils construisent. Franchement, soyons logiques. Le rapport du Vérificateur Général en est la preuve. Il y a des ministères qui ont dépensé plus de 11 millions de Fcfa uniquement pour le thé. C”est une honte.

A qui la faute?

Le pays est dirigé par un Président de la République. S”il y a des vagabondages, soit il prend ses responsabilités, soit il est complice. Il a été constaté par le Vérificateur Général la perte de plus d”une centaine de milliards de Fcfa pour l”Etat, dans un pays pauvre comme le Mali. En tout cas, tant que je verrais les gens en train de voler de façon flagrante, je serai toujours dans l”opposition, que ce soit sous ATT ou sous quelqu”un d”autre. Et je ne pourrai pas partager la même vision que le pouvoir. Ce n”est pas possible.

Quels sont vos rapports avec le Chef de l”Etat?

J”ai de très bons rapports avec le Chef de l”Etat, Amadou Toumani Touré. A chaque fois que j”ai cherché à le voir, il m”a rencontré. C”est quelqu”un qui me respecte beaucoup. Puisque Dieu a fait qu”il est le Président de la République, il n”y a aucune raison que moi je ne le considére pas comme le Chef de l”Etat. Même si les élections ont été truquées. En tout cas, il est certain que moi je suis dans l”opposition. Je suis un opposant qui n”appartient pas à un parti d”opposition. Je mène ma guerre à ma manière. Nous envisageons de créer une fondation pour la culture. C”est pour cette raison que je voudrais voir le Président de la République pour lui parler de ce projet.

Cinq journalistes ont été emprisonnés pour une affaire dite de "la maîtresse du Président de la République". Quels sont vos points de vue par rapport à cette histoire qui a défrayé la chronique?

Je me demande ce qui peut pousser un responsable, aujourd”hui à travers le monde, à arrêter des journalistes. Nous sommes ce que nous sommes grâce à la presse.

Un pays sans presse n”est pas un pays, c”est vraiment un champ d”anarchie. On ne frappe pas un journaliste. On n”enferme pas un journaliste. Je pense que le Président de la République a eu tort. Je crois qu”il a été mal conseillé, surtout concernant un sujet de dissertation.

J”ai été totalement indigné par cette affaire. Je voudrais tout simplement dire au Président de la République que ces gens qui lui conseillent de faire des choses comme ça ne sont pas des amis à lui. Ces gens ne lui disent pas la vérité.

L”artiste Salif Kéïta vient de perdre aux législatives. Quel message avez-vous à lui lancer?

Je pense que Salif a posé un acte qu”il avait le droit de poser. Je crois qu”il a des conseillers qui l”ont poussé à se présenter. Car Salif ne se présentera jamais à la députation à cause de l”argent. Il a échoué à ces élections, ce n”est pas grave. Il doit sortir un nouveau disque pour que ceux qui n”ont pas voté pour lui le regrettent.

Réalisé par Alou B HAIDARA
Bamako du 27 juillet 2007

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